lundi 20 avril 2015

L'acier médiéval était-il un "bon" acier ?

On entend beaucoup de choses sur les aciers utilisés dans l'armement médiéval, des termes plus ou moins techniques employés à plus ou moins bon escient, des lieux communs, des demies-vérités et des légendes urbaines. Peu en vérité savent clairement définir le vrai du faux dans ce flot d'informations souvent contradictoires. L'habitude est de dire que l'acier "de damas" était le meilleur, que l'acier "feuilleté" produisait de meilleures lames que l'acier "homogène" et que les lames étaient toutes faites selon un schéma "en sandwich".

Un chevalier aurait-il troqué son épée en acier feuilleté à forge en sandwich pour un modèle équivalent fait dans un acier homogène moderne ?
Pourquoi pratiquait-on le feuilletage, la trempe sélective ou le corroyage ?
A-t-on perdu en qualité avec le temps ?

Avant de voir où se trouve la vérité, nous allons présenter les méthodes d'obtention des aciers durant le moyen-âge et définir les termes techniques.

Il faut tout d'abord maîtriser le langage technique. Voici une définition des termes habituels :

- "Damas" : on parle d'acier "damas", et pas "de damas", pour désigner l'authentique acier obtenu par la forge d'un lingot ou palais de "wootz". Le wootz est un morceau d'acier homogène qui a été chauffé d'une manière très spécifique (par exemple : de 0 à 400°c en moins de 10 mn puis stabilisation à 400°c pendant 8 mn, puis montée à 750°c en moins de 3 mn et de 750 à 900°c en moins d'une minute, le tout pour un travail à 900°c. Ces chiffres sont données à titre indicatif, ce ne sont pas les véritables températures de travail. Cette description a pour unique but de présenter la marche à suivre). Cette manière de chauffer l'acier homogène va en changer l'organisation interne, à échelle moléculaire, de telle sorte qui va redevenir un acier hétérogène et former des concrétions internes de diverses structures d'acier (la martensite, l'austénite, etc.). Le lingot de wootz est alors prêt à être forgé. Lorsqu'on le forge, là encore on va utiliser un schéma bien spécifique de montée en température pour que ces stades du carbone forment des masses plus petites et on travaillera la lame de telle sorte qu'ils seront harmonieusement et également répartis sur toute la surface de la lame. La lame ainsi obtenue est une lame en acier "damas", ou "vrai damas". Cette explication, bien que déjà relativement complexe, n'est qu'une vulgarisation du procédé extrêmement complexe de la fabrication du wootz et d'une lame à partir de cet acier.

- "Damassé" : le "damassage", ou "faux damas", ou encore le "feuilletage" est une technique de forge qui n'est pas celle de l'authentique damas mais qui présente des motifs similaires sur la lame, par les jeux de reflets et de couleurs, ce qui a mené à dire que l'acier travaillé ainsi est "damassé" ("comme du damas", littéralement). De nos jours, on produit de l'acier damassé de diverses manières et dans divers buts : artistique, commercial, esthétique, etc.
Le premier (en terme de quantité produite) est fait par empilement de divers alliages d'acier qu'on attache par un point de soudure à l'arc les unes aux autres de telle sorte qu'on forme un lingot. On utilise généralement deux types d'acier : un à fort taux de nickel et un avec le moins possible de nickel. On forge ce lingot pour en faire une barre puis on la replie/vrille/rabat sur elle même de telle sorte que les diverses nuances d'acier soient bien mélangées et, là, on forge la forme définitive. Après polissage et attaque à l'acide, les aciers prennent tous une couleur différente et on peut observer le dessin, bien net et très contrasté, que forment les diverses couches d'acier. Cette méthode est à but purement esthétique et n'apporte rien en terme de qualité ou de solidité à la lame.
L'autre méthode est de regrouper de petits morceaux d'acier tout droit sortis du bas fourneau et de les forger pour en faire des barres, qu'on va ensuite  souder au feu les unes aux autres de telle sorte qu'on obtienne un lingot. On va alors étirer puis replier sur lui-même ce lingot un certain nombre de fois pour mélanger au plus possible les diverses couches le constituant. Cette méthode, contrairement à une idée reçue, ne rend pas la lame "meilleure", mais est due à une contrainte technique inhérente au bas fourneau et, si les forgerons du moyen-âge avaient pu s'en passer, ils l'auraient fait sans hésiter.

- "Damasquiné" : terme qu'on utilise pour qualifier un métal qui a été traité pour lui donner l'air d'être du damas. La technique la plus fréquente est d'appliquer une couche de cire sur l'objet puis de creuser dans cette cire des sillons, des creux, des dessins quelconques. Ensuite, on applique de l'acide qui va entamer l'acier là où il n'est pas recouvert de cire. Le résultat ressemble, de loin, à de l'acier damas ou damassé. Cette technique est destinée à vendre un objet plus cher qu'il ne vaut en simulant un travail de qualité.

"- Sandwich" : On parle d'une lame "sandwich" pour nommer celles qui sont formées de plusieurs barreaux d'acier de compositions chimiques différentes organisées selon un lamellé/collé. Pour une lame, par exemple, on va faire le dos et le flancs dans un barreau d'acier tendre, le coeur dans un acier moyennement dur et le tranchant dans un acier très dur. Ainsi, la lame peut être amenée à un tranchant très fin et être très dure sans pour autant perdre en souplesse, laquelle est essentielle à sa solidité puisqu'une lame homogène dure serait aussi cassante en conséquence de sa dureté.

Comment faisait-on l'acier au Moyen-Âge ?

De nos jours, pour produire de l'acier, on utilise un haut fourneau. Voici sont fonctionnement, simplifié : une tour creuse est emplie d'un combustible puis de minerai de fer. On allume le combustible et on laisse chauffer en alimentant le feu tant en combustible qu'en air pour qu'il atteigne une température suffisante pour faire fondre le métal. Suivant la méthode utilisés, on peut obtenir soit uniquement de la fonte, soit du graphite, de la fonte, de l'acier et du fer pur. Dans un tel cas, la graphite se trouve sous forme de dépôt au fond du fourneau, ensuite vient la fonte la plus dure, puis la fonte la plus tendre, ensuite on trouve de l'acier à fort taux de carbone puis à faible taux de carbone et, enfin, on trouve du fer pur tout en haut de la masse du fourneau, duquel on a éliminé les impuretés (pierre, scories, imbrûlés, etc.) durant la combustion à mesure qu'elles apparaissaient.

Durant l'antiquité et le moyen-âge, cette structure n'existait pas. Le haut fourneau n'est apparu que plus tard, aux environs du XVIIe siècle, bien que des bas fourneaux très imposants de la fin du moyen-âge aient effectivement pu ressembler, tant dans leur forme que leur fonctionnement, à certains hauts fourneaux. Le bas fourneau, lui, ne permet pas une séparation sous forme de couches des divers types d'acier, en plus de ne pas pouvoir produire de fonte à proprement parler. En effet, dans le bas fourneau, on récupère une masse constituée de métal et, éventuellement, de quelques scories.
Cette masse est un mélange hétérogène de divers types d'aciers qu'on peut comparer à une montagne : il y aura dans cette montagne des filons de charbon à certains endroits, des filons d'or à d'autres endroits, parfois un filon de calcaire traversera un filon d'argent et ailleurs on trouvera des masse, vaguement sphériques, de granit. Le métal obtenu à partir du bas fourneau est lui aussi organisé de cette manière : des veines, filons ou masses d'acier à faible, moyen ou fort taux de carbone sont éparpillés un peu partout, avec en certains endroits de la fonte (ou ce qui s'en rapproche le plus), du fer pur (en général, le pureté absolue n'existe pas : quand on parle de fer "pur", il faut comprendre "le fer le moins allié possible à un quelconque autre élément". Techniquement, tous les fers sont en vérité des aciers) et, éventuellement, des scories, des imbrûlés et du "mâchefer" (de l'acier qui a brûlé et "décarburé", ce qui forme une sorte de masse très cassante, spongieuse et inutilisable sans transformation).

On avait beaucoup de mal à produire un métal réellement "pur" (sans éléments involontaires) et on l'alliait, de manière souvent maladroite, à d'autres éléments qui ne faisaient pas forcément de bien à l'alliage : les aciers médiévaux sont bien souvent alliés de cuivre, de plomb, d'antimoine, d'arsenic, de nickel, d'aluminium, de chrome, d'étain et de bien d'autres éléments chimiques dont la présence n'est pas forcément, voire pas du tout, bénéfique (et qui, parfois, n'ont absolument rien à faire dans un alliage d'acier). Même le magnésium, le manganèse ou la silice, qui sont utiles à un acier pour être résilient, deviennent néfastes lorsqu'ils sont présents en trop grandes quantités, quantités impossibles à quantifier précisément sans appareillage moderne.

Comment se déroulait la forge ?

Lorsqu'on voulait forger une lame (ou quoi que ce soit d'autre) au moyen-âge, on cassait au burin la masse obtenue dans le bas fourneau jusqu'à obtenir de petits morceaux de 3 à 10 cm de diamètre environ. Le forgeron sélectionnait ceux qui lui paraissaient les meilleurs (ce qu'il jugeait à la couleur et aux reflets, principalement) et allait en forge. Ces morceaux d'acier, bien que le forgeron les avait sélectionnés pour leur taux de carbone et leur relative homogénéité, restent néanmoins hétérogène en terme de structure moléculaire. Dans un morceau, on a de l'acier X, mais aussi des impuretés, de l'acier Y, Z, A, B, C, etc. Le forgeron chauffait alors chaque morceau pour en faire un barreau, puis il assemblait par soudure au feu ces barreaux de telle sorte qu'il formaient un lingot. Ce lingot a encore un motif hétérogène : il contient de grosses masses d'acier à fort taux de carbone, de grosses masses d'acier moyen et encore d'autres masses d'acier à faible taux de carbone. Il va alors étirer le lingot puis le replier sur lui-même et le souder au feu pour en refaire un lingot, puis l'étirer de nouveau et le replier et souder encore, etc., jusqu'à obtenir un lingot constitué non plus de quelques couches hétérogènes mais de plusieurs centaines, sinon milliers, de couches hétérogènes si fines, si nombreuses et si étirées sur tout leur long que, finalement, la lame est virtuellement constituée d'une seule nuance d'acier, donc d'un acier parfaitement homogène.
Pour faire une lame en sandwich, on procède de la même manière mais en formant autant de lingots qu'on souhaite de couches dans le sandwich. La dureté de chaque lingot est ajustée en fonction de la dureté (donc de la part de carbone) approximative de chaque morceau tiré du bas fourneau utilisé pour le former.

Il apparait alors que toutes les pièces fabriquées selon cette méthode sont feuilletées, ou "damassées". Le feuilletage d'une lame n'est donc pas une question de qualité ou de propriétés mécaniques (résilience, dureté, etc.) mais de contrainte technique : on n'avait pas le choix, on ne pouvait pas procéder autrement. De nos jours, on obtient grâce aux hauts fourneaux (et les aciéries, qui permettent de "raffiner" les aciers) des aciers d'une pureté extrême dont la composition chimique est contrôlée avec une précision absolue. Ainsi, lorsqu'on achète un barreau d'acier, on sait parfaitement quelle est sa teneur en carbone, quels sont les autres éléments contenus dans l'alliage et en quelles quantités. De fait, on n'a pas besoin de prendre deux morceaux très durs et un morceau plutôt tendre pour obtenir au final un morceau dur : On prend directement un barreau d'acier dur. La qualité de la lame n'est pas diminuée, bien au contraire, puisque ces aciers modernes suppriment le risque de trouver des impuretés ou de rater une soudure et offrent une lame à la composition chimique parfaitement homogène. La lame ainsi constituée est donc de bien meilleure qualité, alors pourtant qu'elle n'a pas subi de feuilletage.

Il existait d'autres méthodes pour produire une lame feuilletée. Un méthode qui était déjà pratiqué par les Celtes au début de l'âge du fer européen consiste à former des barreaux homogènes d'acier, lesquels sont alors regroupés en faisceaux. On enterre ces faisceaux et on les laisse un certain temps, parfois quelques mois, parfois plusieurs années, avant des les déterrer et de les forger. L'acier, sous terre, va plus ou moins s'oxyder et de différentes manières selon sa composition, sa place dans le faisceau, les éléments chimiques en contact avec lui. Alors, on obtient de subtiles variations dans le faisceau qui est alors "corroyé" : torsadé, rabattu puis re-torsadé, etc. Le corroyage est l'action de comprimer les fibres du métal par une action mécanique, la forge. Une fois ça fait, on obtient un lingot d'acier homogène (par le même principe que le feuilletage) qui forme des motifs esthétiques dus au corroyage et qui a profité de son temps en terre pour transformer certains de ses éléments chimiques, en perdre certains et en gagner d'autres. Pour gagner en carbone, tout était bon à mettre dans la fosse contenant l'acier : charbon, argiles ferrugineuses, sang, etc.

Lieux communs :

L'acier damas est certes un bon acier par définition mais il revient finalement à faire un feuilletage. En fait, le palais de wootz qui sert à produire le damas est lui-même déjà un produit de forge, il est donc lui aussi forgé-replié à partir de plusieurs morceaux d'aciers hétérogènes provenant de bas fourneaux. Par ailleurs, sa composition chimique et le travail très spécifique dont il bénéficie lors de la forge de l'objet fini fait du damas un acier d'extrême qualité, aux propriétés mécaniques étonnantes et particulièrement adapté à la construction d'une lame. C'était un acier relativement rare et très cher, qui était réservé à des armes de prix dont peu ont connu les combats.
En vérité, peu d'épées et sabres ont été faits avec du wootz. Les pièces les plus courantes sont des couteaux, notamment le "pesh kabz" et le "kard", Kyber et Turc respectivement. Votre serviteur possède justement un authentique kard, sans doute du XIXe siècle, qui par ailleurs a mal vieilli et dont la soie commence à se séparer en plusieurs plaques. C'est un couteau d'une grande beauté, dont la lame présente de subtils dessins, presque imperceptibles, sous chaque angle et qui est à la fois d'une très grande dureté et d'une étonnante souplesse. Son tranchant peut être porté à une finesse rarement vue sans perdre sa solidité et sa tenue dans le temps. Néanmoins, ce n'est pas un objet exceptionnel : certes, il est d'une grande qualité et moi-même, pourtant forgeron, suis impressionné par la structure de l'objet, mais ce n'est rien qu'on ne puisse faire avec un simple feuilletage et un travail consciencieux.

Enfin, un autre lieu commun concerne les lames faites "en sandwich", ou "à tranchant rapporté". Comme leur nom l'indique, elles sont constituées de barreaux qui flanquent un autre barreau. L'avantage est de bénéficier d'un tranchant très dur tout en conservant une lame souple. On dit souvent que toutes les lames, durant le moyen-âge, étaient fabriquées selon ce procédé. En vérité, bien que c'était très fréquent, cette technique n'était pas répandue à toutes les pièces, bien au contraire.
Comme précisé plus haut, il était long et difficile d'obtenir un lingot d'acier homogène, tout comme il était pratiquement impossible de constater avec précision la teneur en carbone (et donc la dureté) d'un acier. De fait, on ne pouvait se permettre de diffuser la technique du sandwich à toutes les lames. Seules celles qui valaient le coup (armes de prix) et celles qui étaient destinées à ceux ayant un budget conséquent disposaient de ce fameux tranchant rapporté. En conclusion, seules les armes chères. De manière générale, toutes les armes nobles (lances de cavalerie, certaines épées et haches) et les armes des guerriers de métier disposaient d'un tranchant rapporté et, généralement, le couteau d'usage général ou la hache de tout un chacun en disposaient aussi, mais pas les petits couteaux utilitaires, encore moins les outils agricoles ou les armes de grandes séries destinées à armer une large troupe qui, elles, étaient faites d'une seule nuance d'acier, sans autre fioriture.
Les sabres japonais sont sujets à la même légende urbaine. Pourtant, la forge "maru" (barreau d'acier homogène sans sandwich) est très courante à toutes les époques du Japon médiéval. En Europe, les scramasaxes et les francisques sont particulièrement connus pour être toujours, ou presque, fabriquées avec un tranchant rapporté, mais il est difficile de confirmer cette information puisque les rapports d'analyses des lames sont rarement diffusés et peu de lames sont effectivement analysées. De plus, le temps et l'oxydation ont généralement raison de la structure de l'acier, qui finit par devenir plus ou moins homogène ou, au contraire, fortement hétérogène, ce qui interdit dans bien des cas toute analyse pertinente.

Aussi, une lame en sandwich n'apporte pas forcément un avantage significatif : une lame homogène à trempe sélective a exactement les mêmes propriétés mécaniques qu'une lame en sandwich (c'est justement le but de la trempe sélective : donner à une seule nuance d'acier deux propriétés mécaniques différentes en fonction de sa place sur la lame). De plus, une lame n'a pas forcément besoin d'être très résiliente (ce qui signifie "à la fois très dure et très souple") : peu d'utilisations nécessitent qu'on ait un tranchant très fin ou très résistant sur une lame souple. Il y a le combat et... C'est tout. Et encore : une lame doit être dure parce que la coupe a comme principe qu'un tranchant doit être plus dur que la matière dans laquelle il pénètre (sinon, il ne pénètre pas, tout simplement).
Partant du principe qu'aucune armure n'est fait dans un acier très dur (au contraire, on utilisait des aciers relativement tendres de manière générale) et que dans tous les cas peu de soldats portaient des armures métalliques couvrant tout le corps, il apparait qu'un tranchant très dur n'a pas de réel intérêt : même un acier très tendre reste plus dur que la peau, la chair ou les os humains. On peut largement couper un bras avec une lame en cuivre, un métal pourtant très tendre. C'est là la preuve qu'un tranchant dur n'est pas d'absolue nécessité.

L'étude de diverses lames de divers styles à travers les époques montre que durant tout le moyen-âge, la dureté finale (après trempe et revenu) des lames était relativement faible, s'étalant environ de 30 à 45 HRC. Ce sigle signifie "échelle de dureté Rockwell C". Il existe plusieurs échelles de Rockwell - A, B, C, etc. -, lesquelles sont utilisées pour définir la dureté d'un matériau. C'est une méthode peu utilisée de nos jours, mais la coutellerie a ses usages bien spécifiques, parmi lesquels figure l'utilisation l'échelle HRC. Dans les autres domaines, on lui préfère les échelles de dureté Brinell ou Vicker.
De nos jours, il est impensable de fabriquer une lame de moins de 50 HRC et c'est même un critère d'achat : beaucoup de gens s'imaginent qu'il faut absolument une dureté supérieure à X HRC, ce qui est une erreur puisque la lame est d'autant plus cassante qu'elle est dure. Les lames étaient donc plutôt tendres au moyen-âge, même celles fabriquées avec un tranchant rapporté. L'idée n'était donc dans tous les cas pas d'obtenir une lame à la dureté exceptionnelle, mais plutôt d'obtenir une lame ayant deux zones bien distinctes de deux duretés différentes, de telle sorte que la plus dure rigidifie la plus tendre et que la plus tendre assouplisse la plus dure, le tout donnant non pas une lame très tranchante tout en étant souple, mais plutôt une lame capable d'amortir les vibrations dues aux coups qu'elle reçoit (souple, donc) tout en conservant la rigidité (dure, donc) nécessaire à, par exemple, un coup d'estoc puissant porté sur une plaque d'armure.

Beaucoup de gens parlent de tests vus sur internet pour confirmer la supériorité supposée des lames médiévales, parmi lesquels on peut citer ce fameux test de la coupe en deux d'une balle de pistolet. Effectivement, ce test a bel et bien eu lieu et la lame a bel et bien tranché en deux le projectile. Seulement l'arme utilisée n'était pas un sabre médiéval mais un sabre moderne, ce qui retire au test toute crédibilité puisqu'il ne témoigne justement pas de la qualité des lames médiévales. C'est un sabre japonais, d'ailleurs.
De plus, cette vidéo profite de l'incurie des gens : tout le monde ne s'y connait pas en balistique, ni en armes à feu de manière générale. Ainsi, ils sont dupés car, en vérité, l'arme utilisée est un Colt 1911A1 chambré en .45ACP, une munition lourde et lente. La munition a d'ailleurs été sous-chargée et la balle utilisée est très lourde. En l'occurrence, c'est un projectile "wadcutter" en plomb mou. Le pistolet et le sabre sont tous deux fixés sur un affût très précisément réglé pour les aligner parfaitement et le coup est tiré non pas perpendiculairement à la lame mais avec une légère élévation en site pour que l'impact soit moins violent.
Tout ceci signifie que le projectile frappe très faiblement (par rapport à un coup de feu classique), se déplace lentement avec une énergie cinétique faible, a un devant plat qui évite qu'il ne glisse sur la lame et est fait d'un matériau très tendre à travers lequel même la moindre plaque de tôle d'acier aurait coupé. Car c'est un fait : si à la place du sabre on avait mis un tournevis, la balle aurait quand même été coupée en deux. Ce n'est pas une question d'acier composant la lame, mais du matériau et de la forme de la balle, ceci couplé à sa vélocité très faible.
Une épée, un sabre, un couteau ou quoi que ce soit, et médiéval ou pas, ne sera jamais capable de couper en deux un projectile d'arme à feu en dehors d'une mise en scène ridicule destinée à appâter le badaud sur une chaine de télévision qui se targue à tort et avec beaucoup de mépris pour ses spectateurs d'être "culturelle". Et ceci sans parler de l'absolue inutilité d'un tel exercice...

Conslusion :

Ainsi, il faut comprendre qu'à qualité de forge égale, de deux épées, l'une feuilletée et faite à partir d'acier de bas fourneau et l'autre en acier moderne, c'est celle faite à partir d'acier moderne qui sera la plus performante, et ce à tous les niveaux. Les aciers modernes éliminent les risques d'impuretés, de "pailles", de défauts de soudure, d'hétérogénéité de l'alliage, d'imprécision de la composition chimique de l'alliage, de microfissures, etc.
De nos jours se développent de plus en plus de procédés très avancés technologiquement, comme les trempes "sous vide" et "cryogéniques", qui permettent d'obtenir des lames aux capacités mécaniques exceptionnelles tout en ayant une dureté très élevée. Le moyen-âge ne connaissait pas ces technologies et ne pouvait donc obtenir des résultats similaires. Il ne faut pas non plus se dire que les lames du moyen-âge étaient forcément mauvaises, bien au contraire, et il est important de ne pas sous-estimer l'ingéniosité et le talent des êtres humains, mais il faut  tout de même garder en tête que sans technologies avancées, on ne fait que composer, faire des compromis. Si un forgeron du XIe siècle avait eu entre ses mains un barreau d'acier moderne, il aurait gagné un temps énorme, économisé plusieurs journées de combustible pour sa forge et, sans aucun doute, produit une des meilleures, sinon la meilleure, lame de son époque et elle le serait restée jusqu'au début du XIXe siècle.
Néanmoins, il ne faut pas dénigrer la science ni le travail de nos ancêtres : on sait que les forgerons du moyen-âge étaient des virtuoses, dont la majorité du savoir a été perdu et qui pouvaient faire des choses techniquement bien au dessus de ce qu'on pourrait penser à première vue. Certaines lames qui ont été bien conservées sont encore parfaitement capable de coupes franches et nette et leurs acier ont toujours leurs propriétés mécaniques inchangées, lesquelles sont admirables. Les épées médiévales, contrairement à leur pendant actuel - les couteaux de combat - étaient des objets fins et subtils, aux lignes fluides et épurées, aux dimensions pertinentes et recherchées qui n'étaient pas le fruit du hasard ou d'un simple sens esthétique mais de savants calculs et rapports géométriques. Certaines analyses ont pu montrer des aciers d'une pureté et d'une structure qu'on ne croyait pas capable d'obtenir par le seul travail de forge et encore moins avec des aciers hétérogènes et fortement inclus sortis de bas fourneaux. Les Francs étaient les maîtres incontestés de la forge à leur grande époque et on s'échine encore à trouver comment ils ont pu produire des objets d'une telle qualité sans moyens industriels, certains professionnels du raffinage des métaux interrogés ayant eux-mêmes été incapables de donner une réponse.

samedi 22 novembre 2014

Les Outils du Copiste

Cet article intéressera le reconstituteur médiéval qui tient une échoppe de calligraphe. C'est le second article sur le sujet que je publie ici. >>http://reconstituteurs.blogspot.fr/2014/06/les-instruments-du-scribe.html. Pour celui-ci, il s'agit de passer en revue les sources écrites.

Les outils du scribe nous sont connus par les sources écrites et les sources iconographi-ques. Les trois textes les plus souvent cités sont Guigues Ier, prieur de Chartreuse et les Coutumes des Chartreux écrites dans le premier tiers du XIIe siècle, Alexandre Neckam (1157-1217) et son De Utensilium nominibus écrit dans le dernier quart du XIIe siècle et Jean de Garlande (1190-ap.1252) et son Dictionarius écrit vers 1200. Quant aux images, on trouve à foison, des représentations d’évangélistes et d’autres saints à leurs travaux d’écriture mais aussi d’autres auteurs. De plus, deux traités d’écriture de la Renaissance contiennent deux planches des outils d’écriture. N’oublions pas de citer le Vocabulaire Codicologique : Répertoire méthodique des termes français relatifs aux manuscrits de Denis Muzerelle, paléographe et mis en ligne en 2002-2003 >>http://vocabulaire.irht.cnrs.fr.

  • Les Sources écrites médiévales



Les Coutumes de Guigues, rédigées en 1127, précisent que pour les chartreux, « chaque moine a dans sa cellule un pupitre, des plumes, de la craie, deux pierres ponces, deux encriers, un canif, deux rasoirs pour racler les parchemins, un poinçon, une règle, un style »[1]. Neckam dit en 1180-1187, que l’écrivain a des rasoirs, « rasorium, novaculam » pour enlever les saletés du parchemin, de la pierre ponce et une plane (« planulam ») pour purger et à égaliser la surface du parchemin, un plomb (une mine de plomb ou une pointe sèche) sert à régler, linier les pages sur les deux côtés des feuillets. On recouvre les tablettes (où l’on écrit) d’un morceau d’étoffe, d’un feutre. Le scribe utilise un canivet pour tailler les plumes. Il a aussi une vraie dent de sanglier, qui sert à polir le parchemin lorsqu’on a gratté une erreur. Pour Garlande, les instruments nécessaires au clerc sont : le livre, le pupitre, la lampe de nuit avec suif, la lanterne sourde, le cornet rempli d’encre, la plume, le plomb et la règle et le miroir, la tablette de bois, la cathèdre, les ais de bois, la craie avec un instrument en fer avec lequel les parcheminiers préparent le parchemin, la pierre ponce.

  • Les Traités de la Renaissance


Légèrement postérieurs aux textes précédents, deux traités d’écriture sont cependant intéressants par leurs images d’outils de scribe. Il s’agit de La vera arte delo excellente scrivere de diverse varie sorti de litere..., de Giovannantonio Tagliente écrit en 1530 et du Libro nel qual s'insegna a scrivere ogni sorte lettera..., de Giovambattista Palatino écrit en 1540. Une très belle étude des instruments de ces deux traités a été menée par J.-P. Gumbert dans la Gazette du livre médiévale en 1998. Une liste a été dressée : la plume, le canif, la règle, le plomb (le stylet de plomb ou le fil à plomb –des palets pour tenir les feuilles de parchemins-), l’équerre, le « vernice » (des coquilles d’œufs pulvérisées et de l’encens pour préparer la surface du papier) contenu comme le pense Gumbert, dans les pyxides dessinées sur l’étagère par Tagliente et Palatino et étalé avec un pied de lièvre, les ciseaux, l’encre, l’encrier muni d’un couvercle et dans lequel on peut mettre un tissu de soie ou du « scotonne » (de la gaze ou du cuir ?), un dé noir pour protéger le pouce lorsqu’on taille les plumes d’oie, une lampe avec son abat-jour, un instrument pour tirer une ou deux lignes de réglure ( « rigatoio a uno e doe righe »), des pincettes : « molette », pour fixer le guide-lettres (la « falsa riga ») visible par transparence sous la feuille, une ficelle, la cire à cacheter, un petit miroir dont « on dispose pour conserver la vue », un stylet (qui servait « pour maintenir le papier en avant de la plume lorsqu’on écrit avec soin », à la Renaissance, ce n’est plus le canivet qui avait cette fonction !), un sablier, un sceau de bureau, une ampoule d’encre. L’étude se termine par la mention d’un autre traité, un manuel de notariat de 1545 : Instruction wie gegen trefflichen Personen... où il y a une image de peigne à régler et de boîte à sable.

Voici donc des listes d'instruments du scribe que l'on pourra avoir à montrer au public des fêtes médiévales et Renaissance.



[1] Formules de copiste. Les colophons des manuscrits datés, catalogue d’exposition de la Bibliothèque Albert Ier, Bruxelles, 1991, p.13

lundi 8 septembre 2014

Le peintre dans le Décaméron de Boccace

       Reconstituer, est un dosage d'archéologie expérimentale et d'étude de rôle. J'avais espéré trouver quelque discours utile auprès d'un auteur classique mais j'ai rapidement déchanté après avoir pensé que Boccace pouvait faire mon affaire. J'étais tombé sur le Décaméron dont les traductions françaises remontent au début du XVe siècle. La première fut achevée en 1414 par Laurent de Premierfait après trois ans de travail. Ce dernier qui ne connaissait pas l'italien avait dû recourir à un frère cordelier pour le faire traduire en latin auquel il était plus habitué. Quelques rares et très coûteux manuscrits lui succédèrent.
BNF Fr.230 fol 86v 


Rappelons seulement que l'œuvre originale fut écrite entre 1349 et 1351 et que le sujet y dépeint sept nobles demoiselles et trois jeunes hommes courtois qui avaient choisi de fuir la peste de 1348 en se réfugiant dans les collines de Fiesole. Ils avaient établi comme règle d'occuper les heures les plus chaudes de la journée par une joute narrative s'étalant sur 10 jours.
Un plan qui a servi de modèle à d'autres œuvres comme les cent nouvelles nouvelles présentées par des personnages historiques membres de la cour de  Bourgogne ou plus récemment, l'ouvrage populaire de 2010, inspiré de dix contemporains rassemblés par Jean Sauvy, grâce à l'intervention d'Internet.                            
      Dans sa préface du Décaméron, traduit une nouvelle fois à la fin du 19e siècle par Francisque Reynard, l'auteur déclarait encore que quelqu’un qui les avait observés de près avait dit, avec autant d’à-propos hélas (sic) que ce qui distinguait les Français des autres peuples était leur ignorance profonde en géographie et qu'il aurait pu ajouter leur ignorance à peu près complète des littératures étrangères. Les œuvres des écrivains étrangers étant quasi inconnues en France. On y imaginait pourtant que le Décaméron contenait des contes plus licencieux les uns que les autres. 
Il est vrai que Boccace s'en était excusé dans sa conclusion : "S’il y a dans mes écrits quelques endroits qui puissent faire rougir la pudeur, quelques expressions gaies, doit-on accorder moins de licence à la plume du poète qu’au pinceau du peintre ?"

      Je ne doute pas qu'aujourd'hui les lecteurs, ainsi avertis, puissent s'être régalés de ces cent nouvelles qui sont aussi à l’origine d’une riche iconographie comme le démontre l'éditrice Diane de Selliers dans une belle sélection de la fin du moyen âge sous référence ISBN 978-2-903656-57.

      Boccace pouvait interagir en s'exprimant en mots et en images puisqu'il lui arriva d'illustrer certains manuscrits en y intégrant des dessins à la plume rehaussés d'aquarelle. Son œuvre littéraire fut aussi peinte par de nombreux artistes médiévaux sur toutes sortes de supports comme murs, coffres de mariages ou plateaux d'accouchées pour ne prendre que quelques exemples. Mais comment considérait-il la profession de peintre au travers du texte puisque trois jours sur dix, ceux-ci  y sont évoqués ? Trois histoires sur les dix quotidiennes font l'objet des journées 6 et 8 tandis qu'une seule sert de sujet le 9ème jour. Une telle proportion au sein de ces contes qui se veulent galants m'a quelque peu surpris.
      Je souhaitais y trouver quelque chose de flatteur mais malgré tout le respect que la reine du jour vouait à Giotto, premier peintre à entrer en scène, c'est sa laideur physique qui requière toute l'attention de la nouvelle numéro V.
      Sots, espiègles, caricaturistes, laids, il n'est, à l'exception citée, pas question de talent. Même Dieu y apparaît comme apprenti peintre !
      Par tant de parodies, Boccace ne se distingue guère de Reynard en matière de causticité à l'égard de ses compatriotes. Mais tout cela n'était-il pas seulement destiné à servir aux dames d'exemples pour distinguer ce qu’il fallait éviter ou imiter ?
      
      Le seul exemple que je retienne est l'humilité de Gioto qui ne faisait qu’augmenter l’éclat de ses talents.


J'ai dressé, ci-après, une liste abrégée des jours, reine, sujet et nouvelle :

6ème journée (Reine : Elissa, éviter dommage, danger ou honte par l'usage d'une prompte réplique)
NOUVELLE V
RIEN DE PLUS TROMPEUR QUE LA MINE
(Laideur physique des Baronchi et de Giotto)
NOUVELLE VI
LA GAGEURE
(Dieu en apprenti peintre lorsqu’il créa les Baronchi)
NOUVELLE X
LE FRÈRE QUÊTEUR OU LE CHARLATANISME DES MOINES
(Lipotopo le caricaturiste)


8ème journée (Reine : Lauretta, tours que l’on se joue)
NOUVELLE III
L’ESPRIT CRÉDULE  (Calandrin, joué par 2 compères,
croit que sa femme est responsable de la perte de son invisibilité)
NOUVELLE VI
LE SORTILÉGE OU LE POURCEAU DE CALANDRIN E
(Une nouvelle fois victime de Lebrun et Bulfamaque)
NOUVELLE IX
LE MÉDECIN JOUÉ
(Les deux peintres se jouent du docteur Simon de Villa


9ème journée (Reine : Emilia parler de ce qui lui est le plus agréable)
NOUVELLE V
LE SOT AMOUREUX DUPE
(Calandrin, jouet de ses compagnons, de Philippe et de Colette est molesté par sa femme)..


L'on peut lire le Décaméron libre de droits à l'url suivante :



mardi 5 août 2014

Le sabre en Europe médiévale, partie 2 : le sabre, arme dérivée de l'outil

          Le sabre, arme par destination dérivée de l'outil :

Par essence, une lame à double tranchant est uniquement guerrière ou, du moins, meurtrière : les deux tranchants limitent les zones de frottement sur la cible (il n'y a pas de dos de lame plat, qui est inutile lors de la pénétration, mais un second tranchant qui, comme le premier, entame la chair) et permettent donc une pénétration plus aisée, augmentent les dégâts causés en permettant d'atteindre plus de surface et donc plus d'organes ou d'artères, autorise n'importe quelle tenue de l'arme sans se soucier de l'orientation du tranchant, etc. Même au moyen-âge, période durant laquelle le banditisme de grand chemin était plus développé qu'actuellement et qui subissait une criminalité urbaine équivalente à celle qu'on connaît de nos jours en plus des troupes sans chefs qui pillaient les terres, des pirates qui remontaient les fleuves, des mercenaires en maraude et des chevaliers-brigands, il était rare pour un homme du peuple de devoir tuer un homme et il n'avait généralement pas le droit de chasser. Il n'avait donc aucun intérêt à posséder un objet clairement meurtrier ou martial.
Par contre, on avait toujours besoin d'un outil universel et cet outil, c'est le couteau. Muni d'une lame à simple tranchant (puisqu'un double tranchant est inutile, voir gênant), il sert aux tâches usuelles, à l'entretien du corps, à la nutrition et éventuellement à la défense face à un animal (y compris bipède). Dans le milieu artisanal ou agricole, il est de grande taille, parfois grand comme une épée (auquel cas son simple tranchant en fait, de facto, un sabre), sert pour toutes sortes de tâches allant de l'élagage des arbres à la défense rapprochée, en passant par le débitage d'une carcasse ou le fendage d'une bûche. On s'en sert pour tailler un pare-feu ou une voie dans une forêt, creuser une tranchée autour d'un campement, former des fascines de branchages, s'exercer physiquement en pratiquant l'escrime, faire levier pour soulever une pierre, enfoncer un clou, etc. En fait, on s'en sert pour tout et il en existe un nombre incalculable de déclinaisons : couteau de vannier, sabre d'abatis, équarrissoir, feuille de boucher, faux à main (opposée à le faux sur hampe), fendoir, hachoir à viande, couteau de vénerie, couteaux de bouchers divers (dont certains ont des dimensions impressionnantes, comme le couteau « batte » destiné à découper et attendrir de gros quartiers de viande et muni d'une lame d'environ 50 cm), couteau de charpentier et encore bien d'autres.
Lorsqu'on était recruté dans l'« ost », une sorte d'armée de conscrits, on n'avait pas forcément de dotation armurière et il n'était pas toujours possible de contracter un prêt pour s'armer. Ainsi, le pauvre devait se contenter de ce qu'il avait : un soc de charrue fixé au bout d'un tronc de châtaigner, un sabre d'abatis (une machette) et un couteau utilitaire de moyenne longueur (12 à 15 cm de lame) auxquels il ajoutait éventuellement un gourdin fait d'une grosse branche et même des couteaux de table et des pics à viande (l'ancêtre de la fourchette) et quatre ou cinq mètres de cordelette qu'il tressait durant son temps libre pour en faire une fronde, arme de fortune mais néanmoins très efficace. Ainsi, d'outils agricoles transformés ou utilisés sous leur forme originelle, naquirent (respectivement et au fur et à mesure du temps) la vouge, le malchus (terme perdu de nos jours et qu'on remplace par « fauchon », d'où la confusion avec l'authentique fauchon. "Malchus" est déjà le nom du grand couteau/sabre d'abatis avant même qu'il n'évolue vers un type d'arme par nature), le poignard, la masse d'arme, le stylet et le gibet (fronde militaire montée sur hampe).
Ces objets sont des armes de facto, parce qu'il faut se rendre à l'évidence : un objet n'a pas besoin d'être une arme, un objet spécifiquement meurtrier, pour tuer. Fred Perrin, grand nom du combat rapproché actuel, enseigne dans son ouvrage « Combat à l'Arme Blanche » que le « couteau de combat » se définit comme « le couteau avec lequel on se bat ». À partir de cette définition et avec un minimum de bon sens, il apparaît comme évident qu'un bon couteau de cuisine n'a rien à envier à un quelconque poignard spécifiquement destiné à tuer : on fait entrer le bout pointu dans la cible, elle meurt. Alors le sabre d'abatis, le couteau paysan qui est plus connu de nos jours sous le nom de « machette », devient une arme à part entière. Au moyen-âge, on en compte de très nombreuses déclinaisons, dont les plus connues sont le « messer » germanique, le « scramasaxe » franc et scandinave, le « breekmes » ou « breecmes » des peuples de l'actuelle Belgique et qui donnera le « braquemard » (dont le nom aura plusieurs signification au cours du moyen-âge).
Le scramasaxe tient son origine à la fois dans les épées à simple tranchant de l'antiquité que nous avons évoquées dans le chapitre précédent, dans le couteau agricole et dans le couteau de la vie de tous les jours (ce qu'on nomme actuellement le « EDC », « Every Day Carry », le couteau à porter en permanence). On le trouve dans de nombreuses formes et longueurs qui ont été classifiées par Wheeler (formes de lames) et Schmitt (longueur et largeur). On le trouve à partir du VIe siècle mais il a existé des formes prototypes et transitionnelles avant cette période. Il perdurera jusqu'aux environs du XIIe siècle, à la fin duquel il laisse place à des armes plus évoluées, pertinentes ou, tout simplement, plus à la mode. Le scramasaxe se trouve en toutes tailles de lames, de 10 à 85 cm. Les modèles civils ont des poignées goupillées rappelant les sabres plus tardifs d'Europe de l'Est ou les sabres japonais, avec des lames à simple tranchant très élégantes de forme clip-point ou drop-point (selon région, époque et peuple utilisateur). Tous en portaient et, fatalement, vint un jour où, à force de l'utiliser comme arme d'appoint (et même souvent comme arme principale), les guerriers ont fini par le « militariser ». Ont alors existé parallèlement des modèles construits comme de réelles épées, avec gardes et pommeaux, et des modèles dits « civils », fabriqués comme des couteaux et qui, eux, n'étaient pas limités au rôle martial. Le scramasaxe a été une des armes les plus répandues du moyen-âge, on en trouve de Paris à Kiev et d'Aberdeen à Naple. Les guerriers utilisaient des scramasaxes comme armes principales, même ceux qui avaient les moyens de s'acheter une épée et il était fréquent (sinon parfaitement conventionnel) d'utiliser le scramasaxe et l'épée (ou deux scramasaxes) dans un duo rappelant le daïsho japonais ou les akinakès (là aussi de deux longueurs différentes) des guerriers Scythes. Les différentes longueurs et largeurs de lames portent des noms spécifiques comme « schmalsax » (petit), « breitsax » (large), « langsax » (long), etc. Du scramasaxe de grande longueur, les scandinaves ont apparemment dérivé une épée à simple tranchant, sans courbure, à dos droit, dont les dimensions et l'esthétique sont exactement les mêmes que celles de leurs épées à double tranchant. On retrouve donc un schéma semblable au fauchon (une arme à simple tranchant mais construite comme une épée, avec les mêmes éléments de monture et suivant les mêmes modes au fil du temps) chez les vikings du VIIe au Xe siècle mais, contrairement au fauchon qui a toujours été une arme, on assiste là à l'évolution d'un outil pour en faire une arme. Cette forme de sabre droit, qui n'avait alors plus vraiment rapport avec le scramasaxe (sinon son simple tranchant), a eu beaucoup de succès en Norvège.


Les typologies de Georg Schmitt et de Wheeler, les deux ressources les plus importantes sur les différents types de scramasaxes. Sont ainsi présentés ici les longueurs et les formes que pouvait prendre le scramasaxe, selon le lieu et le peuple utilisateur.

Un excellent exemple d'épée scandinave à simple tranchant (Xe siècle pour ce modèle). On admet que ce type d'épée est une dérivation des scramasaxes à vocation militaire. Si on ne voit pas la lame, on ne peut différencier ce sabre d'une épée viking à double tranchant. Relativement répandues en Norvège, on en trouve aussi en Suède, au Danemark et en Finlande. On en retrouve même au Nord de l'actuelle Allemagne, au Nord de la France et en Angleterre.

Le messer germanique a connu une histoire similaire. Plus tardif, il a été utilisé du XIV au XVIe ou XVIIe siècle et a connu de nombreuses déclinaisons. Les lames sont, là encore, aussi bien drop-point que clip-point et la poignée, disposant d'une garde et d'un pommeau (ou plutôt de deux mitres, en vérité), est montée à plate semelle et maintenue par des goupilles, souvent tubulaires (donc creuses). Ce type de monture est caractéristique du couteau et non de l'épée ou du sabre. Les lames mesurent environ 50 à 70 cm, disposent d'un simple tranchant et sont faiblement ou pas du tout courbées, les gardes ont ou non des quillons. Le terme allemand « messer » signifie « couteau ». C'est un outil agricole qui servait aux diverses tâches de la vie aux champs et à la protection rapprochée (on parle parfois de "hausswehr", "arme de la maison", sous entendu "arme pour la défense du domicile"). De la même manière que le scramasaxe, le messer a été utilisé au combat et, de fait, il est devenu au cours du temps une réelle arme, utilisée par les guerriers de métier et même les nobles, qui d'ailleurs semblent avoir beaucoup apprécié ses qualités comme arme de chasse (car à l'époque il était fréquent de chasser au corps à corps, donc à l'épée, au sabre, au couteau). Un pan entier de l'escrime de l'époque lui est dédié et c'était une arme regardée avec respect et considération. Très rapidement, les quillons discrets se sont allongés pour former une garde suffisante pour le combat et un troisième quillon (qu'on appelle parfois "palmette", d'où le nom de "garde à palmette" qu'on donne à ce type de monture), recouvrant le haut et parfois le dos de la main, est apparu pour opérer des parades selon la méthode prescrite par les manuels d'escrime, qui préconisaient un maniement très aérien et des gestes fluides, profitant de retournement et de rotations du sabre pour présenter, selon l'action à opérer, le dos ou le tranchant. Cette manière de mouvoir l'arme n'est pas sans rappeler le maniement de certains sabres chinois ou celui de la canne courtoise française de l'ancien régime (il faut aussi préciser que la coupe étant un principe physique, il n'y a pas des centaines de manières de manier un objet tranchant, quelle que soit sa forme, mais une seule : celle qui permet de mettre en oeuvre ce principe physique. Ainsi, l'escrime à l'arme X n'est jamais vraiment différente de l'escrime à l'arme Y, quel que soit le peuple, l'époque, la forme de l'arme). L'objet, alors devenu une arme à proprement parler, a connu de nombreuses formes, allant du « grossemesser » (« grand couteau »), la forme originelle (poignée tenue à une main et lame de 50 à 70 cm environ), au kriegmesser (« couteau de guerre ») tenu à deux mains par une poignée d'une trentaine de centimètres et à lame de 90 à 120 cm, en passant par le « langmesser », tenu lui aussi à deux mains mais de taille intermédiaire entre les deux précédents-.

Le grossemesser typique, avec son troisième quillon qui recouvre la paume de la main (75 cm dont 62 de lame pour 955 grammes). On notera qu'il en existait en configuration droitière ou gauchère, ce qui prouve que l'usage de la main gauche n'était pas proscrit. L'ensemble du messer, du bauernwehr (grand couteau d'usage général dont la destination première est la défense rapprochée. Le terme signifie d'ailleurs "arme du paysan") et du set de couverts de table (un couteau et un pic à viande) constitue l'attirail quotidien de chacun à la campagne. Ainsi équipé, le conscrit avait tout ce qu'il fallait pour vivre et combattre lorsqu'il était engagé dans une quelconque armée, ce sans avoir à acheter un matériel clairement militaire qui ne lui aurait servi qu'une ou deux fois dans sa vie et aurait coûté très cher. Collection privée, propriété de Myarmoury.com.

Un langmesser à la forme peu représentée de nos jours mais ayant eu beaucoup de succès à l'époque, à lame droite et sans décroché à la pointe (forme "drop point" ou "spear point asymétrique"). Celui-ci dispose d'une poignée prévue pour deux mains mais d'une longueur totale suffisamment courte pour pouvoir être tenu d'une seul main. Poignée de 18 cm, lame de 70 cm. Reproduction, collection privée.

épée de chasse allemande ou bohémienne du XVIe siècle. On note la ressemblance frappante avec le langmesser. Utilisé à la guerre, un tel objet prend alors le nom de "kriegmesser". L'appellation "langes messer" signifie "messer long". Cet objet, de par se fonction d'épée de chasse et sa monture élaborée, est indéniablement une arme de noble et montre bien comme l'arme a évolué : certes peu dans sa forme, mais suffisamment pour qu'on fasse la différence entre l'outil agricole "brut de décoffrage" des premiers temps et l'arme de guerre noble et considérée qu'elle devint par la suite.

« Breecmes » est le nom donné au messer par les actuels belges et hollandais. Il a donné « braquemard » en français, terme qui a d'abord désigné des sabres du même type puis des « fortes épées », terme rapportant aux épées à lames larges et relativement courtes ayant côtoyé les premières rapières lors de la renaissance. Ont dérivé du messer un certain nombre de sabres de styles esthétiques disparates ayant eu du succès auprès des chevaliers et mercenaires du XVe au XVIIe siècle et qui étaient des armes clairement désignée et non plus des outils agricoles détournés de leur usage par nécessité.
Des équivalents au messer germanique ont existé à la même époque et même avant en Europe (le terme « messer » et la forme qu'on lui connaît datent du XIVe siècle, mais les germains utilisaient déjà des sabres d'abatis avant cette date, évidemment, comme tous les autres peuples) et on les appelait « malchus » en France, en Grande-Bretagne et dans le Saint Empire Romain-Germanique. De forme très proche du fauchon de Conyers (notamment la lame), on les appelle aujourd'hui très souvent, et improprement, « fauchon ». Ils se distinguent de l'authentique fauchon par la présence embryonnaire, voire l'absence totale, de quillons sur leur garde, qui est donc une simple mitre, et de réel pommeau qui, lorsqu'il n'est pas tout simplement absent, se limite à un capuchon qui termine la poignée (comme sur le messer, d'ailleurs). Ils ont eux aussi été utilisé à la guerre mais, là, uniquement par le bas-peuple puisque les nobles et les guerriers de métiers avaient déjà une arme de très exactement même forme mais plus évoluée et clairement dédiée au combat : le fauchon.
On utilise aussi le terme fauchon, là encore improprement, pour désigner tout type d'arme trop longue pour être un couteau et à simple tranchant. Le terme exact est « ensis », un mot tiré du latin qui a très exactement cette signification : tout ce qui n'est pas clairement une épée mais est trop long pour être un couteau. L'exemple le plus connu est le « fauchon de Maciejowski », une arme qui présente plus de similitudes avec certaines feuilles de boucher ou avec un équarrissoir qu'avec un fauchon, mais l'habitude d'utiliser ce terme à tort et à travers a fini d'entériner cette appellation. L'arme existe en de nombreuses déclinaisons, on la voit aux mains de miliciens, paysans et guerriers de métier mais pas chez les chevaliers. La lame dispose d'un tranchant et d'un dos droits ou légèrement courbés, de manière abrupte, dans une courbure rentrante (pour le tranchant) ou sortante (pour le dos) de faible amplitude. La pointe n'existe pas puisque la lame finit par un plat et le dos rejoint la pointe après un ou plusieurs décrochés successifs formant de petites pointes dont l'utilité reste à confirmer. Cette forme rappelle beaucoup les feuilles de boucher, qui disposent d'une lame massive, d'un tranchant droit, d'une pointe inexistante et éventuellement d'un ou plusieurs décrochés du même type servant à creuser, décoller la viande de l'os et briser les os. Cette forme étonnante a valu à l'arme d'être parfois nommée "feuille de houx". Cette arme atypique au succès grandissant ces quelques dernières années existe depuis les années 1160 au moins, puisqu'elle est représentée sur un bas relief de la Porta Romana du château Sforzescco à Milan. Des exemplaires de la taille d'une feuille de boucher, et identifiés comme tels, ont étés datés du VIIIe ou IXe siècle après leur découverte en Lombardie. Un essai que j'ai pu consulter sur les sabres médiévaux, trouvé au hasard de recherches et malheureusement anonyme et incomplet, témoigne de l'existence d'objets de ce type vus dans des catalogues de ventes aux enchères. Malheureusement, je n'ai pu jusque là en trouver aucunes photographies.

Le fameux "fauchon de Maciejowski", qui n'est effectivement pas un fauchon. Notez sa forme atypique et ses deux décrochés précédant un devant concave ne formant aucune pointe dans l'alignement de la lame. La poignée "parapluie" est typique de ce genre d'objets.

La "storta contadina" italienne, arme (ou outil, plus certainement) présentant une forme vaguement similaire à celle du fauchon de Maciejowski. Le nom de l'arme signifie "tranchoir de paysan", quoique ce modèle, avec ses nombreuses gravures et son crevé, semble être tout sauf un outil paysan. C'est la seule arme connue qui puisse être rapproché du fauchon de Maciejowski, les seuls autres objets approchant étant des outils. Il date du XVIIIe ou du XIXe siècle. Lors de ma dernières visite à Florence, où il est conservé, l'objet n'était malheureusement pas exposé et on n'a pas pu me renseigner sur son état. Référence 196 RE, Museo Nazionale del Bargello, Florence.

La bible de Maciejowski présente aussi un certain nombre (deux ou trois représentations au moins) de sabres semblables à des faux montés sur une poignée d'une trentaine de centimètres et dont ont aurait redressées les lames pour que le dos soit droit. En découle un sabre sans courbure ou à courbure sortante très faible dont le dos de la lame semble renforcé par un jonc (bulbe formé par le dos de la lame. Cette forme sert généralement à renforcer la rigidité de la lame, mais elle ne se voit pas au moyen-âge. Peut-être que ce n'est, en vérité, que le prolongement de la douille qui sert au montage de la poignée, comme sur une lance). La poignée est montée sur douille, renforçant l'impression d'une faux transformée. Néanmoins, l'efficacité de cette lame, montrée par le dessin d'un chevalier armuré de mailles coupé en deux d'une hanche jusqu'au milieu du ventre par un coup d'une telle arme réfute l'hypothèse de la faux redressée, puisque les faux ne sont pas faites d'acier trempé mais, au contraire, d'acier doux non trempé (ceci dans le but de pouvoir les réaffûter sans enlever de matière avec un simple marteau et une petite enclumette à fixer sur le pieds et donc les faire durer dans le temps, car le métal était cher. Couper des végétaux est une réelle épreuve pour un outil tranchant, ainsi il aurait fallu réaffûter (et donc enlever un peu de matière) très régulièrement si la faux était constituée d'acier dur et trempé). Une coupe efficace, surtout sur une protection métallique, demande une lame dure qui ne peut donc être celle d'une faux puisque les lames de faux, en plus de ne pas être durcies par la trempe, sont faites d'acier doux et donc mou. On note donc un objet dont on ne sait pas si c'est une arme atypique, un outil inconnu détourné de son usage ou une arme de fortune. C'est peut-être même une vue de l'esprit de l'illustrateur. Beaucoup de ces armes sont aussi vues montées sur des poignées pour une ou deux mains, dont les célèbres « manches de parapluies », mais aussi sur des hampes courtes, rappelant le « couteau de brêche » et la « vougesse » (tous deux désignant des vouges ou dérivés montés sur des hampes courtes).

Ce fameux sabre monté sur douille qu'on a un temps pensé être une lame de faux redressée. On note que l'efficacité de la coupe infirme cette théorie. Aussi étonnant que ça puisse paraître, ce n'est pas une vue d'esprit de l'auteur : un telle coupe était effectivement réalisable sur un homme en armure. L'armure du chevalier, bien qu'offrant une protection certaine, avait le même rôle qu'ont les gilets pare-balle actuels : offrir un minimum de protection contre les menaces les plus communes, mais pas une efficacité totale face à tous types d'attaques, quoiqu'en disent leurs fabricants. L'arme est ici maniée par Josué, fils de Noun, dont la bible dit qu'il est armé d'une épée (j'insiste sur la précision du terme) et de javelots, mais pas d'un sabre ni d'une faux comme on voit sur cette représentation.

          La place du sabre en Europe médiévale :

Nous avons vu que les déclinaisons du sabre en Europe étaient très nombreuses durant le moyen-âge. On peut même avancer qu'il y avait bien plus de sabres que d'épées. Certes, on sait de nos jours que l'épée n'était pas l'apanage des nobles et que tous ceux qui avaient le droit de posséder pouvaient accéder à l'épée (pour peu qu'ils en aient les moyens financiers et y trouvent un quelconque intérêt), de plus on note que, si le sabre est très présent dans l'iconographie, il y a sans conteste cent fois plus d'épées représentées dans les ouvrages d'époque. Néanmoins, tout comme c'est le cas de nos jours, l'épée avait au moyen-âge un attrait esthétique, c'était un symbole. Il apparaît donc comme normal qu'elle soit plus représentée. Les trouvailles montrent que les sabres sont rares, mais ceci est aussi dû au fait que la majorité de ces sabres étaient des outils paysans et, donc, étaient reforgés à la fin de leur existence pour donner une nouvelle lame, plus à la mode ou plus pertinente en terme d'emploi (le fils d'un fermier n'était pas forcément fermier. Si il devenait charpentier, il utilisait le vieux sabre agricole de son père pour le faire reforger en hache, par exemple). On ne pouvait pas toujours, et même jamais, se permettre de conserver un kilogramme d'acier inutile alors que le métal coûtait très cher. Il apparaît donc comme évident qu'on en trouve si peu dans les fouilles archéologiques. Il ne faut aussi pas oublier qu'un outil reste un outil : le sabre du paysan est certes un sabre mais, surtout, il est paysan. Sa forme est étudiée pour assurer un rôle précis, rôle qu'une épée à double tranchant n'aurait pas pu remplir puisqu'elle-même est étudiée pour un autre rôle. Ainsi, il est normal qu'à choisir, le paysans, même pour s'armer en cas d'éventuel combat, aurait choisi non seulement l'objet qu'il a à portée de main, mais aussi l'objet qui lui est le plus familier : un sabre.
Très répandu auprès du peuple, le sabre était donc plus fréquent, pour le quidam, que l'épée à double tranchant qui restait un objet clairement meurtrier, guerrier, et donc cher (parce que fabriqué avec bien plus de soin et des techniques plus évoluées que le matériel agricole) en plus d'être inutile. Son efficacité tout a fait raisonnable (après tout, c'est une lame comme une autre : elle tranche et se plante, ainsi que toutes les autres) l'a mené à connaître des déclinaisons purement militaires qui lui ont donné grâce auprès des guerriers de métier. De plus, ceux-ci ont toujours apprécié les avantages d'une lame à simple tranchant, qui permettait d'utiliser le dos pour opérer des parades efficaces ou pour appuyer la taille en plaçant sa main dessus, et en ont toujours utilisé (même avant que des sabres paysans et des grands couteaux ne soient transformés en sabres guerriers). Le fauchon authentique atteste du succès, certes limité mais tout de même notable, du sabre auprès de la noblesse. Alors que la troupe, après la renaissance, se mettait à utiliser des fusils et ne se battait plus qu'à la baïonnette, la cavalerie s'est très rapidement et sans difficulté mise à utiliser massivement le sabre plutôt que l'épée, ce qui témoigne de l'habitude que les guerriers avaient déjà de cette forme d'arme. Lorsque les européens ont connu « Cipango », le Japon, les sabres qu'on y utilisait étaient très appréciés des arrivants, qui en ont ramenés chez eux et les ont même copiés. Deux exemplaires très richement décorés conservés au musée du chevalier de Dresde, en Allemagne, attestent de cet attrait pour le sabre, arme à la fois bien connue et exotique. On notera aussi une grande diversité de sabres montés comme des épées (donc, par définition, des fauchons) à partir du XVe siècle, où on en trouve de toutes tailles et de toutes sortes, aussi bien destinés au combat qu'à la parade. Les mercenaires germaniques, italiens et français en étaient de grands utilisateurs et ils étaient parfois aussi fréquents dans leurs rangs que les épées longues à double tranchant, qui connaissaient elles aussi, à cette époque, une grande variété de formes et de styles.
Enfin, on notera que le moyen-orient connaissait l'inverse : alors qu'à partir du XIVe siècle le sabre se généralise et supplante l'épée, qui disparaîtra presque totalement, on trouve tout de même certains modèles fabriqués sur place ou importés d'Europe. Le musée d'Alexandrie en conserve plusieurs, classées selon Oakeshott comme des épées de type « XVIIIc », un genre sous-représenté dans les trouvailles européennes mais fréquent dans l'iconographie et, surtout, caractéristique de l'idée qu'un profane se fait de l'épée européenne : élégante, mais massive, imposante.

Quelques exemples de sabres européens, dont une très large majorité de fauchons. Les deux derniers seulement n'en sont pas : le plus petit est un couteau de vénerie et le dernier, bien connu des historiens, est une interprétation du sabre oriental par un forgeron italien (l'arme reste fonctionnelle, ce n'est pas un outil de parade). Le premier exemplaire présenté est sans doute un malchus, un sabre paysan, plutôt qu'un réel fauchon. Malheureusement, contrairement à ce que dit la légende en bas de page, un carré n'est pas égal à un centimètre et, de fait, les dimensions sont faussées. De plus, les croquis ne sont pas tous à la même échelle. Néanmoins, cette image représente une ressource appréciable pour constater la diversité des modèles de sabres médiévaux européens, dont on n'a d'ailleurs ici qu'une représentation très partielle, tant les styles et formes ont été nombreux.