samedi 12 juillet 2014

Le sabre en Europe médiévale, partie 1 : le sabre, arme par nature

Dans l'imaginaire collectif, l'arme typique de l'Europe médiévale est l'épée : une arme à lame droite et à double tranchant. Bien que ce soit effectivement vrai, peu savent que le sabre y était lui aussi très répandu, en plus d'être estimé et très apprécié. On ajoutera aussi que « Europe médiévale » ne signifie rien en soi. L'Europe est un ensemble de territoires à peine défini à l'époque et « médiéval » rapporte à une période qui a duré mille ans, comme si elle avait été un tout uniforme et cohérent sans aucun changement du début à la fin. Raisonner ainsi revient à dire que Louis XIV et la conquête de Mars prennent place au même moment de l'histoire de l'humanité.
Nous devons aussi rappeler ce qu'est un sabre avant d'entrer dans le vif du sujet : on appelle « sabre » toute arme blanche dont la lame, trop longue pour en faire un couteau, est courbe et munie d'un seul tranchant complet (l'éventuel second tranchant n'est donc que partiel). Évidemment, cette définition souffre des exceptions : il y a eu des sabres droits, bien qu'on parle de préférence d'« épée à simple tranchant » ou de « latte », et il y a eu des modèles dont la lame portait deux tranchants complets, auquel cas là aussi on préfère parfois parler d'« épée courbe », ceci par coutume (l'épée étant la plus répandue dans nos régions, tout objet approchant est appelé par défaut « épée », ce qui constitue d'ailleurs un abus de langage). Il existe des sabres à courbure « rentrante » (comme une lame de faux) et à courbure « sortante » (comme une lame d'hirondelle de bourrelier).
Il existe un grand débat entre ceux qui considèrent que le sabre dans l'Europe médiévale est une arme à part entière qu'on doit placer sur un pied d'égalité avec l'épée et ceux qui pensent qu'il n'est qu'une dérivation d'un outil et qu'il doit donc être considéré de la même manière que la hache de guerre. Nous allons voir que ces deux hypothèses ne s'excluent pas mutuellement. Jusque récemment, une troisième hypothèse était encore admise (et on peut même encore l'entendre actuellement dans des salles de classes dirigées par un professeur à l'esprit réfractaire) : le sabre en Europe médiévale serait une tentative de copie (ou un effet de mode) résultant du contact avec les peuples orientaux durant les croisades. En effet, leurs fameux cimeterres, des sabres à la terrible efficacité, auraient impressionné les croisés qui, revenus en Europe, auraient tenté de le copier. Cette hypothèse a été infirmée pour plusieurs raisons très simples : pour commencer, les croisades ont débuté à la fin du XIe siècle et le sabre existe en Europe depuis l'âge du bronze, plusieurs milliers d'années avant la première croisade (et le début de la reconquista). Aussi, Les cimeterres n'étaient pas « d'une terrible efficacité ». C'étaient des sabres et, en tant que tels, ils avaient leurs avantages (une taille efficace et un maniement dans l'ensemble plus aisé) et leurs inconvénients (un estoc peu efficace, sinon déplorable). Enfin, argument incontestable, le cimeterre n'existait tout simplement pas à cette époque. Certes, les orientaux, tout comme les européens, utilisaient des sabres mais, là encore comme chez les européens, ils étaient largement sous représentés puisque l'arme la plus répandue chez eux restait l'épée, à lame droite et double tranchant. Seuls les peuples iraniens utilisaient principalement le sabre et eux n'ont pas pris part aux combats des premières croisades (et leurs sabres n'étaient alors pas des cimeterres). Les européens n'ont donc pas pu être impressionnés par la qualité et l'efficacité du cimeterre puisqu'il n'en ont pas vu avant le XIVe siècle. Le tout premier sabre islamique (c'est à dire une arme arabe ou turque, et pas persane), qui est d'ailleurs le tout premier cimeterre, date de 1297 et est conservée au Topkapi Saray Museum sous le numéro d'inventaire 1/304.


Le tout premier sabre islamique connu et aussi le premier véritable cimeterre, qui date de 1297 (forgé en l'honneur de la victoire du sultan Husam al-Din Lajin). In Unsal Yucel: Islamic swords and swordsmiths. O.I.C. Centre de recherche pour l'histoire islamique, l'art et la culture, IRCICA, 2001.
Il reste donc deux hypothèses et nous allons voir qu'elles ne s'infirment pas mutuellement, ce qui s'explique par le simple fait qu'elles sont toutes les deux vraies : oui, l'armement européen comprend des sabres, armes à part entière, dont le rang et la qualité étaient égaux à ceux de l'épée mais il existait aussi des sabres de moindre rang (mais pas forcément de moindre qualité, par ailleurs) qui étaient des armes dérivées d'outils agricoles ou artisans. Actuellement, le commun utilise le terme « fauchon » pour désigner tout type de sabre européen, ce qui est une erreur puisque le fauchon est un type bien spécifique de sabre. Cette tendance a même atteint les historiens et les universitaires, qui désormais nomment « fauchon de # » toute arme qui ressemble vaguement à un sabre ou une épée sans en être réellement. L'exemple type est le « fauchon de Maciejowski », qui n'est pas un fauchon mais plutôt une sorte de feuille de boucher ou d'équarrissoir (nous y reviendrons).

          Le sabre, arme à part entière :

Parmi les plus anciennes découvertes de l'âge du fer européen, on trouve des sabres ou des épées à simple tranchant, qu'on appelle "grands couteaux". Ils côtoient des épées à double tranchant, ont les mêmes dimensions et leurs aciers sont d'égale qualité, mais on note qu'ils sont largement plus nombreux. On trouve la même forme générale et le même quota sabre/épée de la Bretagne aux Balkans, ce qui indique que l'usage du sabre en Europe était répandu et non pas une particularité de telle ou telle autre localité (on note néanmoins un nombre d'épées à simple tranchant très élevé sur le littoral de la mer baltique).
Ils présentent des montures semblables à celles des épées, avec une soie aiguille ou plate enfermée dans la poignée et rivetée à un pommeau qui fait tenir l'ensemble solidement. Les lames disposent d'un seul tranchant et parfois d'un court contre-tranchant affûté qui n'est pas sans rappeler certaines dagues de vénerie plus tardives ou le warabite tachi japonais de la même époque (lui-même rappelant les épées chinoises du moment). Elles sont relativement fines (5 à 7 mm) et larges (50 à 80 mm), leur longueur varie d'une soixantaine à plus de 80 cm. Le tranchant et le dos sont droits, plus ou moins parallèles et la pointe est formée par une courbure douce avec un dos « drop-point » (dos tombant vers le tranchant, tous deux suivant une courbure douce sans sommet abrupte pour se rejoindre). L'émouture est convexe et commence dès le dos, les flancs de la lame sont plats et souvent creusés d'une ou plusieurs gouttières dont certaines sont esthétiques (fines et peu profondes) et d'autres clairement fonctionnelles (profondeur conséquente menant à un réel gain de poids et de rigidité). Les lames n'ont généralement pas de courbure, ou une infime courbure rentrante. Certains exemplaires ont un montage dit « à plate semelle », ce qui signifie que la soie a la forme de la poignée finie et est flanquée de deux plaquettes de bois formant poignée. Dans un tel cas, il n'est pas rare que la semelle forme une ou deux branches recouvrant les doigts dans un but à la fois protecteur et esthétique.


Plusieurs modèles de "grands couteaux", ou épées à simple tranchant, dont les trouvailles du site de Hjortspring, en actuelle Suède. Le quatrième exemplaire en partant de la droite a été reconstitué par le fabricant Albion Sword sous le nom de "Cherusker". Notez, sur la page de gauche, les lames pliées. Ce sont des épées dites "sacrifiées" : alors que le guerrier mourait, il partait faire la guerre dans le royaume des morts et devait donc conserver son arme. Néanmoins, pour éviter qu'un pilleur de tombes ne vienne la lui subtiliser dans son cercueil, on chauffait l'épée et on la pliait, l'enroulait sur elle-même ou la rabattait, de telle sorte qu'elle soit inutilisable sans repasser chez un forgeron qui, alors, se serait rendu compte que l'objet était volé à un mort et aurait prévenu les autorités. De là vient le mythe qui veut que les celtes étaient de piètres forgerons, dont les lames se pliaient en plein combat et qu'on devait redresser à coup de pied au milieu du champ de bataille. En vérité, les celtes étaient de très excellents forgerons et, si on sait de nos jours reproduire la qualité exceptionnelle des lames scythes ou japonaises, on a encore du mal à égaler celle des armes celtes.

Le "warabite tachi" japonais. Notez la ressemblance. A cette époque, les lames japonaises sont des copies des lames chinoises, qui elles-mêmes sont inspirées des lames produites par les peuples des steppes, eux-mêmes très présents dans toute l'Eurasie puisqu'ils étaient nomades. Il n'est pas étonnant qu'il y ait de très fortes similitudes dans l'armement de tous ces peuples, bien qu'ils soient parfois séparés de plusieurs milliers de kilomètres. On note le même lien entre les épées "jian" chinoises et l'épées celte "cladio" ou la "spatha" romaine.

Ce type d'épée à simple tranchant se retrouve dans une forme presque inchangée jusqu'au début de l'empire romain, dans les années 100 à 150, après quoi il disparaît presque totalement. L'épée à double tranchant l'a sans doute remplacé jusqu'au retour, très tardif, du sabre, cette fois-ci dans sa forme médiévale. Nous faisons donc un bond dans le temps jusqu'aux environs du XIIe siècle. Là apparaît timidement un nouveau type de sabre, qu'on appelle « fauchon ». Contrairement à une idée reçue, il est construit très exactement comme l'épée : sa soie plate ou aiguille est enfermée dans un manchon de bois dur fait de deux demies-coques assemblées ou d'un bloc massif percé sur sa longueur qui est lui-même enrobé de cuir puis encordé avec du gros fil de lin qu'on poisse avec de la cire d'abeille. Les pommeaux et les gardes des fauchons sont très exactement les mêmes que ceux de l'épée, ils suivent la même évolution et les mêmes modes, l'ensemble garde-poignée-pommeau a le même poids et la même taille que ceux des épées contemporaines.
Les lames, faiblement courbées (flèche maximale de 2 cm environ. Généralement moins de 1 cm) sont généralement un peu plus courtes que celles des épées, dépassant rarement les 80 cm et se situant généralement dans les environs de 70 à 75 cm. Elles ont un talon de largeur moyenne (4 cm environ) et s'élargissent vers la pointe de manière plus ou moins subtile (parfois plus de 7 cm, mais généralement 5,5 à 6 cm). Le dos forme un décroché avant la pointe, donnant une forme qu'on nomme par l'anglicisme « clip point », semblable à celle du célèbre couteau « bowie » américain.


La forme clip-point, avec son fameux décroché. Il peut être concave, comme présenté ici, ou droit, auquel cas on parle plutôt de "broken-back". Les anglicismes sont omniprésents dans le milieu de l'armement.

La forme drop-point, opposée au clip-point. Le dos subit une courbure non pas concave mais convexe. Si la lame est symétrique, qu'il y ait un ou deux tranchants, on parle de "spear-point".

Ce décroché est souvent affûté de manière à former un contre-tranchant et l'éventuelle gouttière qui longe le dos de la lame s'arrête là où le contre-tranchant débute. Les gouttières sont généralement seules et présentes d'un seul côté, mais on trouve des modèles à plusieurs gouttières et appliquées des deux côtés de la lame. Une des particularité très en avance sur son temps du fauchon (ce qui prouve que le fauchon était bel et bien une arme à part entière faisant l'objet d'une recherche d'efficacité et de technicité, et pas un outil agricole détourné de son usage) est la présence quasi-systématique d'un « ricasso », partie du tranchant juste derrière la garde qui est non affûtée et laissée massive, ceci dans le but de renforcer le « fort » de la lame (la partie la plus proche du talon, qui sert à recevoir l'arme de l'ennemi) mais aussi de passer le doigt au delà de la garde pour gagner quelques centimètres sur l'avant de l'arme et ainsi rapprocher la main du centre de gravité de l'objet dans le but d'avoir un meilleur contrôle de la pointe et permettre, donc, un estoc plus précis, plus puissant, plus efficace. Le fauchon répond donc à un problème inhérent à sa forme courbe, l'estoc peu efficace, et le corrige. L'exemple le plus caractéristique de ce type d'arme est le fauchon dit « de Thorpe », qui date de la fin du XIIIe siècle, mais des modèles de ce type ont existé du début du XIIIe à la fin du XVIe siècle. Cet exemplaire, conservé au château de Norwich, a une lame de 80 cm et a perdu un morceau de sa pointe (on l'estime généralement à un peu plus de 82-83 cm), son épaisseur est de 2,5 mm mais on estime l'épaisseur originelle à environ 3,5 mm au talon (ce qui reste très fin) et 3 mm au niveau du décroché, la largeur au talon est de 48 mm et la largeur maximale, au niveau du décroché, est de 56 mm. La gouttière, fine et peu profonde, n'est présente que sur le flanc gauche de la lame. L'ensemble pèse 904 grammes, soit un poids total d'environ 950 à 1100 grammes dans son état originel (selon le bois composant la poignée, la quantité de métal disparue avec le temps, etc.), c'est donc une arme dans la moyenne de poids de son temps.

Le fauchon de Thorpe, archétype de son genre. Exposé au Norwich Castle Museum.

Un modèle méconnu est une dérivation de ce type de fauchon. La forme est exactement la même mais le tranchant et le dos sont inversés par rapport au modèle du fauchon de Thorpe, si bien que la lame a une courbure rentrante, le tranchant est placé sur le côté disposant d'un décroché et le dos est (forcément) de l'autre côté. Ils sont beaucoup plus rares, autant dans les trouvailles archéologique que dans l'iconographie, mais semblent avoir eu néanmoins un certain succès, notamment en France et en Italie. On les voit parfois munis d'une garde recouvrant les doigts. Un exemplaire en bon état de conservation peut être observé au musée des Invalides, à Paris (musée qui dispose d'ailleurs d'un grand nombre de pièces atypiques d'une valeur historique très importante). Ses dimensions et sa qualité sont semblables à celles du fauchon de Thorpe, la lame est néanmoins légèrement plus courte (environ 5 à 6 cm de moins).


Le fauchon des Invalides. Notez la gouttière présente du côté opposé au décroché. La configuration de la lame est l'exact contraire de celle du fauchon de Thorpe, bien qu'elle ait peu ou prou la même forme et les mêmes dimensions.

Certains fauchons avaient une lame sans courbure et à dos droit sans décroché. Sur un tel exemplaire, la pointe était parfois virtuellement incapable d'estoc puisque le tranchant prenait une très forte courbure pour rejoindre le dos et formait donc avec celui-ci un angle très ouvert, généralement une quarantaine de degrés et approchant dans certains cas les 90 degrés. Ces modèles ont une largeur de lame importante (parfois plus de 12 cm) avant la pointe. Ils sont plus anciens que le modèle précédemment décrit (XIIe à XIVe siècle) et disposent de la même qualité de fabrication. Eux aussi disposent des mêmes montures que les épées à double tranchant de leur époque. Bien que leur allure massive laisse à penser que c'étaient des armes moins raffinées, on note que l'iconographie de l'époque les représente autant que les fauchons de l'autre type et les épées aux mains des chevaliers. Ils sont même généralement montrés comme très efficaces. L'exemple type est le fauchon dit « de Conyers », qui présente une monture élaborée disposant de nombreuses gravures d'une grande qualité. Une arme indéniablement noble et rafinée.

Le fauchon de Conyers, conservé à la Cathédrale de Durham. La qualité du cliché ne permet pas de voir les gravures élaborées de la monture en bronze. Anecdote intéressante, l'objet est toujours utilisé pour sacrer l'évèque de Durham, auquel Conyers a fait cadeau de son arme en signe d'allégeance après avoir tué le dragon de Stockburn, en 1063. C'est peu probable, même si on croit à l'existence des dragons, puisque la famille Conyers serait apparemment arrivée en Grande Bretagne en 1066 avec Guillaume le Conquérant, mais il faut savoir laisser un peu de légende à notre histoire.

Un autre exemple est celui exposé au Chateau de Cluny, en France, au numéro d'inventaire CL.3452. Plus court que le fauchon de Conyers, il dispose comme ce dernier d'une monture en bronze, d'une lame plus courte (environ 50 à 55 cm au lieu de 73,5 pour l'exemplaire de Conyers) et d'une poignée elle aussi plus courte, tout juste suffisante pour une main adulte et qui rappelle les poignées très courtes des épées de l'âge du bronze, sur lesquelles le bas de la paume de la main et les doigts venaient chevaucher le pommeau pour donner plus de puissance aux coups de taille (la bosse que forme le pommeau donne à la main un point d'appui supplémentaire permettant de donner un coup de taille extrêmement efficace). Les deux modèles ont des lames extrêmement fines, l'exemplaire de Conyers ayant une épaisseur de 6 mm au talon (ce qui est dans la moyenne basse des épées de l'époque) et de 1,2 mm juste avant la pointe (ce qui est extrêmement fin). Ces mesures nous indiquent que le fauchon, contrairement à une idée reçue, n'était pas une arme lourde destinée à pénétrer dans la chair à la force de son poids, comme une hache, mais au contraire une arme subtile dont le maniement faisait appel non pas à la force brute mais à l'art de la coupe (manière d'utiliser un objet tranchant pour donner des coups de taille. L'art de la coupe permet des coupes extrêmement efficaces et, par exemple, de trancher en deux, d'une épaule à la hanche opposée, un être humain d'un seul coup). On notera aussi des objets semblables au fauchon de Conyers mais dont le dos se prolonge loin en avant pour former une pointe aiguë.

Comme ceci. Bien qu'on note de très fortes similitudes avec le fauchon des Invalides présenté plus haut, il faut garder en tête que les deux armes sont conçues différemment : le modèle des Invalides est une inversion du fauchon de Thorpe (la lame a exactement la même forme mais on a interverti le dos et le tranchant), il est donc à courbure rentrante. Ce modèle-ci est un fauchon type Conyers dont on a étiré la pointe et, de fait, il est au contraire à courbure nulle ou légèrement sortante. On note d'ailleurs ceci par la forme de la pointe : sur le modèle des Invalides, c'est un décroché du tranchant qui forme la pointe alors qu'ici, c'est une prolongation du dos. Nous retrouvons donc peu ou prou le même objet, mais partant de deux modèles de base différents et nés de réflexions différentes. C'est ce qu'on appelle une "convergence évolutive". Reproduction par J. T. Pälikkö, maître forgeron.

Enfin, le XVe siècle a connu une recrudescence de sabres de formes diverses et variées, sans qu'il ne semble y avoir de réelle forme de base à partir de laquelle les divers styles se détachent : les formes et styles esthétiques sont disparates et on a du mal à faire un lien précis entre telle forme et telle autre. Les divers types de lames côtoient les divers types de monture indifféremment. Certains semblent être des fauchons étirés pour en faire des sabres tenus à deux mains dans le style du kriegmesser allemand (traité dans l'article suivant), d'autres ont de très nombreux points communs avec le katana japonais, d'autres encore rappellent les sabres moyen-orientaux et certains préfigurent les formes de lame des sabres européens des siècles suivants. Il semble que les français, les italiens (du Nord de l'Italie), les germains et, surtout, les suisses en ont été très friands. On en voit souvent dans l'iconographie mais peu sont retrouvés sur les sites de fouilles archéologiques. Les quatre clichés suivants présentent diverses déclinaison, très proches les unes des autres, d'un type de sabre généralement nommé "sabre suisse" (qui n'a, par ailleurs, pas été utilisé qu'en Suisse, mais dans toute l'Europe centrale). Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres : il y a eu des dizaines de types différents de sabres européens. La documentation à leur sujet est encore plus rare que leurs traces physiques sur les sites de fouilles, ce qui explique l'absence de photographies de ceux-ci dans le présent article.

Reproduction d'un sabre suisse, seconde moitié du XVe siècle. Reproduction par Christian Fletcher, collection privée

Une autre modèle, même époque, dont la monture a exactement le même style esthétique que le précédent, mais la lame est totalement différente : contre tranchant affûté et gouttière très large qui court tout le long de la lame, à opposer à la gouttière relativement fine et courte du modèle précédent, dont la lame porte un nerf sur son dernier quart et un contre-tranchant non affûté (dit "faux" contre-tranchant). Reproduction d'après deux modèles d'époque, J. T. Pälikkö, maître forgeron.

Encore un sabre suisse, là aussi avec une monture de même style que les précédents mais une lame différente. Exemplaire d'époque. Référence A489, Wallace Collection.

Un autre sabre suisse et, là encore, on retrouve une même monture mais une lame différente (qui néanmoins partage de nombreux points communs avec le modèle de Pälikkö). Reproduction d'après exemplaire d'époque, Arms and Armor.

Ici, on observe un sabre à forte lame italien, suisse ou allemand de la fin du XVe siècle en haut. Ce genre de sabre est appelé "hanger" par les anglophones, terme intraduisible dans notre cas (littéralement, "hanger" signifie "porte-manteau" ou, en mécanique, "suspension") qui désigne ce qu'on pourrait appeler un "coutelas" : un sabre compact et agile servant d'arme d'appoint. En bas, on voit un sabre de même provenance dont le dos forme des vaguelettes, à la manière des lames dites "flamberge", dont l'utilité reste à préciser. Il rappelle le "langmesser" allemand mais sa construction à soie traversante l'en éloigne puisque le langmesser était monté à plate-semelle. Au milieu, on peut observer une épée de chasse en très bon état de conservation. Ce set était sans doute l'attirail de chasse d'un seigneur, les deux exemplaires du bas servant à la chasse proprement dite alors que le modèle du haut aurait servi de dague de vénerie (ou "couteau à servir") : l'arme avec laquelle on porte le coup de grâce sur la bête blessée. La lame très longue pour un "couteau à servir" se justifie par la taille de la bête : on ne chassait pas que des chevreuils, à l'épée, mais aussi et surtout des ours, des cerfs et parfois de grands fauves exotiques. Il fallait donc une arme conséquente pour les abattre.

Reproduction d'une rhomphaia, un sabre utilisé par les daces, les scythes, les sarmates, les thraces, les bastarnes et dont le nom français est "harpé". Les romains en parlent parfois sous le nom de "ensis falcata", mais il faut prendre garde avec ce terme, puisqu'on risque de confondre avec le sabre grec à courbure rentrante totalement différent de la rhomphaïa qu'on appelle aujourd'hui "falcata" et qui, à l'époque, s'appelait "machaïra". Cette arme est antique, mais elle a la notable particularité d'avoir été utilisée jusqu'au XIIe siècle de notre ère comme arme des gardes de l'empereur byzantin, une longévité étonnante puisqu'elle était déjà utilisée, sous la même forme, 350 ans avant notre ère. Collection privée.

Diverses harpé retrouvées lors de fouilles archéologiques. On note que la courbure, toujours rentrante, est plus ou moins prononcées et que les poignées sont très longues (environ 40 à 50 cm), même comparées aux lames qui, elles aussi, sont tout sauf courtes (environ 80 à 120 cm, moyenne de 90-100 cm). Le troisième et le cinquième exemplaire en partant de la gauche sont brisés.

Après ces modèles, qui ont pour certains perduré jusqu'au XVIIe siècle, on trouve des sabres d'inspiration orientale qui ont eu énormément de succès en Europe de l'Est, notamment en Pologne, en Lituanie, en Arménie, en Hongrie, en Ukraine, en Russie (on ne peut parfois faire la différence entre le "klytch" slave et le cimeterre oriental) ou semblable à ceux qu'on utilisera jusqu'à la fin du XIXe siècle et nous sortons de la période médiévale. Néanmoins, il y a de nombreux sabres médiévaux que nous n'avons pas abordés, notamment tous ceux que de nos jours on nomme improprement « fauchon » et dont le nom historique est « malchus », les « messer » allemands et d'autres modèles encore plus spécifiques qu'on regroupe sous le terme latin « ensis ». Ceux-ci sont des dérivations d'outils agricoles et non des armes à part entière créés et étudiés dès le départ comme des armes à la manière des modèles décrits ci-dessus.